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Projet de loi visant à réintroduire les néonicotinoïdes en France

Communiqué du 22 septembre 2020

Projet de loi visant à réintroduire les néonicotinoïdes en France
Le vrai et le faux de la communication gouvernementale.

Alors que nous pensions l’interdiction des néonicotinoïdes acquise, nous avons eu la surprise de découvrir les annonces de Julien Denormandie début août.

Nous avons constaté que pour faire accepter ce grave retour en arrière en matière de protection de l’environnement et de santé publique, les défenseurs de la dérogation n’ont reculé devant aucune manipulation, tant sur le plan de la réalité du risque pour les pollinisateurs que sur celui de l’origine réelle des difficultés du secteur de la betterave. 

Nous tentons dans ce document de déconstruire quelques-unes des contrevérités assénées, afin que le législateur prenne une décision éclairée et responsable.

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SOMMAIRE

• Non, le risque pour les pollinisateurs n’est pas circonscrit au prétexte que la betterave est récoltée avant floraison. On ne peut pas circonscrire le risque en matière de néonicotinoïdes, du fait de leur très grande toxicité, de leur très grande rémanence et de leur capacité à contaminer l’ensemble de l’environnement.

• Non, l’absence de pulvérisation de néonicotinoïdes n’est pas plus rassurante. C’est même le contraire. L’enrobage des semences consiste en un traitement préventif systématique face à un risque hypothétique de jaunisse. Une pratique à bannir, en opposition totale avec les objectifs d’Ecophyto.

• Non, une dérogation sur la betterave, ce n’est pas une « petite dérogation », cela représente 450 000 ha de surfaces traitées et 27 tonnes de produits diffusées chaque année.

• Non, la jaunisse n’est pas responsable de la crise du secteur de la betterave. Dérégulation du marché et sécheresse sont les causes structurelles des difficultés du secteur. Délivrer une dérogation est donc une mauvaise réponse à un problème économique et climatique.

• Les pertes de rendements au niveau national sont bien inférieures à celles reprises dans les médias et la France restera de loin le premier producteur européen en 2020.

• Non, notre souveraineté alimentaire n’est pas menacée par la jaunisse.

• En effet, “Aucune solution, chimique ou non chimique, ne se rapproche en termes d’efficacité des néonicotinoïdes”. Et pour cause, cette grande efficacité est conférée par leur très haute toxicité, raison pour laquelle ces molécules ont été interdites !

• 46 000 emplois menacés par la jaunisse ? Vraiment ?

• Oui, ce projet de loi est un grave retour en arrière en matière de protection des écosystèmes. Il faut cesser de faire de l’environnement la variable d’ajustement de choix économiques contestables et non viables.

Les néonicotinoïdes par le Dr Michel Nicolle

Dr Michel Nicolle – Alerte Médecins Pesticides
Présentation à Paris – 17 sept 2020

Il y a tout juste deux ans jour pour jour, invité à l’Assemblée nationale, je terminais mon exposé sur l’impact des neonics sur la santé humaine par cette triple interrogation :

1- Y aura t-il des dérogations apportées ?
2- Quels seront les produits de substitution et leur éventuelle nocivité ?
3- Les autres usages (biocide et vétérinaire) doivent ils être maintenus quand on sait l’importance de la contamination domestique ?
Et bien aujourd’hui nous y sommes !

Très tôt, les betteraviers belges ont réagi en demandant une dérogation en 2018 puis en 2019, arguant déjà de la jaunisse et allant jusqu’à dire que le problème leur était spécifique et que cela ne concernait pas la France du fait d’un climat différent.
La justice belge leur a donné raison en février 2020 en leur accordant cette dérogation.
En France, l’Arrêté du 7 mai 2019 accorde déjà une dérogation pour l’usage de l’acetamiprid (en dehors des périodes de floraison) pour la noisette, le navet, les figues c-à-d des utilisations marginales par rapport à la culture de betteraves.
Toujours en France, une autre stratégie a été utilisée puisque l’agrochimie a essayé de contourner la loi par l’utilisation de produits apparentés aux néonicotinoides. Comment s’étonner de cela ?

Mettons nous dans la peau d’un céréalier soucieux de son rendement et dans le déni de la chute de la biodiversité : avec l’enrobage des graines, il se trouve devant un emploi d’une facilité extrême :
– plus besoin d’épandages aériens répétés
– pas de risque d’oubli grâce à l’utilisation systématique de cet enrobage sur la majorité des cultures
– efficacité insecticide majeure
– absence de traitements visibles risquant de fâcher le voisinage et de plus (je l’ai entendu d’un céréalier) l’image d’un traitement préventif à l’instar d’un vaccin !!

Pourtant la Loi est bien là !!
L’usage des néonicotinoides à des fins phyto sanitaires est interdit en France depuis le 1er septembre 2018; cette interdiction est justifiée par l’impact de ces substances sur les insectes pollinisateurs, les conséquences sur la santé humaine,
elles, n’étant pas mises en avant dans cette Loi DONT ACTE.

Le fait que les études d’impact sur l’homme soient complètes ou non, que la nocivité ne soit pas totalement démontrée ne change strictement rien au problème et TOUT ce qui sera dit par la suite, y compris sur les lacunes dans les connaissances en matière de santé humaine ne saurait remettre en question cette Loi. Soyons clairs, en matière de néonics et de biodiversité, on n’est plus dans le domaine de l’incertitude, celui du principe de précaution qui par ailleurs prévoit des entorses sous forme d’autorisations en cas de conséquences économiques majeures.
Dans le cas actuel, nous sommes dans le domaine de la certitude puisque des dizaines de publications scientifiques vont toutes dans le même sens d’une atteinte majeure à la biodiversité. Ici, la décision politique dépasse le principe de précaution.

Revenons à notre sujet : quoi de neuf en matière d’impact sur la santé humaine ?

La mesure de la contamination humaine était étudiée jusqu’à présent seulement par les japonais sur des effectifs limités (de quelques dizaines à quelques centaines de sujets). Une étude américaine parue dans Environmental Research en février 2019 sur 3000 sujets montre une contamination à 50 % de la population avec prédominance des métabolites urinaires /substance active. Cette étude américaine montre aussi un niveau de contamination plus élevé chez les enfants que chez les adultes.
Au Japon 100 % des sujets (par ex les pomiculteurs) peuvent être contaminés (avec la spécificité du Japon qui en fait un cas d’école : nous y reviendrons). Au Japon,sur une centaine de sujets en 2015, il a été constaté au fur et à mesure des années une augmentation des niveaux d’excrétion témoin d’une exposition croissante persistance confirmée ailleurs par les analyses de cheveux…
En France, aucune étude de biomonitoring c’est à dire de dosage n’a pour l’instant été publiée; SPF publiera ses résultats sur la contamination de la population par les pesticides fin 2020.
Une étude récente au Japon, sur quelques dizaines de sujets avec de très petits poids de naissance (inférieurs à 1500 gr), montre un niveau des métabolites des néonicotinoïdes plus élevé dans les urines et ce à poids égal pour les enfants ayant un retard de croissance intra-utérin comparé aux prématurés de moins de 1500 gr eux sans retard de croissance : cette corrélation reste à explorer et à expliquer. Cette observation signe le franchissement par les néonics de la barrière materno-fœtale comme avait auparavant été démontré celui de la barrière hémato-méningée. L’intoxication aigüe, sujet classique et anciennement étudié dont l’intérêt réside dans la description clinique et le traitement mais sans grand intérêt pour ce qui nous concerne à savoir l’exposition de la population générale.

Ainsi en France a été publiée une étude des centres antipoison couvrant les années 1999-2012 d’environ 400 cas d’intoxication aiguë à l’imidacloprid soit accidentelle (y compris professionnelle et domestique) de gravité très variable soit à visée suicidaire. Symptômes les plus fréquents, un quart des sujets (110) présentaient une symptomatologie avec vomissements troubles digestifs céphalées. Seuls les sujets qui s’étaient exposés à des fins suicidaires donc en utilisant des doses plus importantes, présentaient des signes neurologiques ou cardio vasculaires.

La publication s’attache à décrire les signes cliniques, le mode et la voie de contamination, la gravité du tableau, les modalités et résultats du traitement ; aucune étude de dosage des substances actives ou des métabolites précisant la contamination n’a été effectuée pour l’intox chronique ce sont toujours les études japonaises qui occupent le devant de la scène en particulier du fait de la grande avance des japonais en matière de dosage et des conditions tout à fait particulières du Japon avec des limites maximum de résidus dans les aliments (LMR) 2 fois plus élevées que les européennes et 50 fois plus pour le thé, de même des doses journalières admissibles (DJA) plus élevées que les européennes.

Au Japon, l’épandage aérien se pratique alors qu’en France, l’utilisation est faite via l’enrobage des graines donc les modalités de contamination sont différentes. De plus, les japonais boivent du thé et les néonics sont solubles dans l’eau. En Europe, l’EFSA a diminué, il y a 6 ans, les DJA de l’acétamiprid suite à la publication de Kimura en 2012 sur l’atteinte du cervelet des rats, les signes rencontrés :

  • on retrouve toujours les mêmes conséquences pour des expositions chroniques alimentaires ou liées aux épandages des signes liés aux troubles cholinergiques puisque les néonics bloquent les récepteurs à l’acétyl choline qui est un neuro transmetteur commun aux insectes et aux hommes
  • troubles du rythme cardiaque
  • fatigue
  • céphalées
  • troubles oculaires et pupillaires
  • troubles de la mémoire
  • et surtout tremblement distal

Des séquelles à distance n’ont pas été décrites, les troubles étant réversibles. Sur les troubles diagnostiqués, il existe une parfaite corrélation entre les taux excrétés et la nature, l’importance et la fréquence des signes cliniques. Cette excrétion est plus élevée en cas de signes typiques par rapport aux signes atypiques et pour les consultations précoces par rapport aux consultations plus tardives. Ces études japonaises ne sont pas toutes des études épidémiologiques au sens strict du terme appliquant les standards habituels (études cas témoins, cohorte prospective). Ce sont le plus souvent des études observationnelles (cliniques) sur des effectifs peu importants mais avec, toutefois, une pertinence voire une certaine force du fait des corrélations mises en évidence même si les effectifs sont limités et réduisent la puissance statistique. Ces corrélations existent entre excrétion urinaire des métabolites et signes cliniques comme je l’ai dit mais aussi accessoirement avec la quantité des apports alimentaires contaminés. Pour souligner la force de ces corrélations, il faut ajouter la disparition progressive des signes suite à la suppression de l’exposition avec en parallèle une diminution simultanée de l’excrétion urinaire.

Toutefois, une récente étude est une étude cas témoin classique puisqu’elle a recherché la corrélation entre la nature des signes et l’excrétion urinaire dans 3 groupes de sujets ( l’un avec des signes typiques, l’autre avec des signes atypiques , comparés à un 3ème groupe témoin sans signe); si les corrélations sont évidentes et renforcent les résultats antérieurs ; les effectifs n’en demeurent pas moins limités.

Actuellement en France, les pyréthrinoïdes et les carbamates sont employés pour remplacer les néonics. Ce sont des substances qui présentent aussi et de manière très documentée et indiscutable une neuro-toxicité ; ils sont la cause de maladies reconnues comme professionnelles. En France, leur présence dans les échantillons d’urines est généralisée (100 % de la population)… On pourrait même dire que nous sommes des champions en la matière. Ils sont aussi beaucoup employés en usage domestique…

Que l’on se tourne vers les neonics ou vers le pyrethrinoides , on voit bien que la solution n’est pas, n’est plus du côté des pesticides conclusion :Les néonics sont toxiques pour l’homme en particulier pour des expositions élevées ( alimentaire, aérienne ou à visée suicidaire) ; mais leur toxicité est sans commune mesure avec celle qu’ils présentent pour les insectes.

Le fait qu’ils soient moins toxiques chez l’homme que chez les insectes du fait d’une moindre affinité des récepteurs à l’acétylcholine chez l’homme comparée à celle des insectes ne saurait obérer le désastre qu’ils présentent pour la biodiversité. De manière plus générale, si l’on quitte le point de vue uniquement anthropocentré où l’homme dominerait les divers écosystèmes dont il serait indépendant on doit se poser la question suivante :

– à côté de l’impact sanitaire direct des néonicotinoides que je viens de décrire quel serait ou pourrait être l’impact indirect de la réduction de la biodiversité sur la santé humaine ?

– ceci nous renvoie à une conception systémique et intégrée de la santé comme One Health le propose.

À ma connaissance, ce chapitre reste à écrire

Dr Michel Nicolle

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